« Le Ghana fut vidé de la totalité de son patrimoine au profit des boutiques, salles de ventes et musées de l’Europe et des États-Unis. En 1998, le musée Barbier-Mueller de Genève exposa quelques statuettes koma, présentées avec la remarque : “Un peuple dont on ne connaît rien.” Le mystère dopant les prix, les “terres cuites koma” se vendirent d’autant mieux qu’elles représentaient les dernières traces d’une civilisation engloutie. Que les archéologues, doublés par les pilleurs, n’aient pu achever leur étude, c’était une perte pour la science, mais une multiplication des gains pour les marchands. »
Le marché de l’art peut bien remplacer l’expression « art nègre » par « art primitif », son seul souci demeure de satisfaire les demandes de ses consommateurs. Pour durer, il s’adapte, sans renoncer aux expropriations qui lui procurent son oxygène : peintures rupestres découpées à la tronçonneuse, manuscrits volés, squelettes d’animaux préhistoriques et vestiges revendus sur les marchés touristiques, tombes profanées… Marchands et collectionneurs des pays riches captent l’essentiel des richesses générées par ce trafic qui dégrade irrémédiablement les zones auxquelles il s’attaque. C’est le plus pernicieux des marchés et le plus symbolique des destructions que subissent les pays du Sud, où matières premières, sources d’énergies, productions agricoles et culturelles continuent d’être drainées vers une poignée de pays riches.
Première éditiion en 1999, remise à jour et lergement augmentée en 2021 pour dresser au vitriol un état des lieux dressé du "marché" de l'art africain au Nord comme au Sud.
Philippe Baqué est journaliste et réalisateur. Il a collaboré à plusieurs publications, dont Le Monde diplomatique. Il a coréalisé une fiction et plusieurs documentaires sur l'Afrique, notamment Carnet d'expulsions, de Saint-Bernard à Bamako et Kayes et Melilla, l'Europe au pied du mur, qui traitent des problèmes des migrants.