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Deux hommes blancs chassent au fond du bush sud-africain, à la lisière du Kalahari : un père et son fils. Henri est un vieil homme, c'est peut-être sa dernière traque. S'il a souhaité entraîner Raphaël dans cette aventure, c'est bien sûr parce qu'il sent que l'heure est venue pour lui de passer la main ; mais surtout pour mettre son fils sur la piste du seul gibier qui, à ses yeux, vaille qu'on le poursuive au long d'une vie : sur la piste de la mémoire. Henri, au fil des vingt-quatre journées et des vingt-quatre nuits que va durer leur course, se souvient et raconte. Rameutant des souvenirs qui hésitent entre l'inquiétude et l'émerveillement, il évoque son enfance de gamin mal aimé, dans le Hanoï des années 20, sa découverte de la brousse sauvage qui bientôt lui tiendra lieu de mère, d'amie, de maîtresse. Tout un monde de dangers, mais de beauté aussi, de liberté surtout : un monde en tout cas qui aura su parler comme aucun autre à sa sensualité de jeune animal en quête de la vie, d'une vie désentravée. La fièvre de la ressouvenance rend bientôt présence à toute une époque, mais d'abord aux magiques séductions d'une terre qui, d'Angkor à la baie d'Along, paraissait bénie du ciel, et que rien n'avait préparée à la violence à venir. La vie était loin d'y être facile, surtout pour ceux qui n'avaient pas trop de place au soleil, mais on vous ménageait quelques espérances taillées large, et l'aventure n'était pas une simple promesse (étonnante évocation du voyage de Gabriel Abadie, lequel va relier Saïgon à Paris par voie de terre, dans des conditions qui nous semblent aujourd'hui presque inimaginables). La guerre et l'invasion japonaise, d'une brutalité inouïe, jetteront sur tout cela un voile sanglant, inaugurant le temps des haines et de la peur. Henri, qui dans la tourmente a aimé, fondé une famille, prend le chemin de l'exil ; mais la France qui l'accueille n'est pas son pays, le confort de cette terre maussade lui paraît oppressant, inhumain. Il lui faut devant lui un monde large ouvert. Il repartira donc, cap au sud. Car la chasse jamais ne finit. Bientôt la nuit africaine recouvrira tout, un homme prendra la suite d'un autre sur le long chemin. Au loin résonnent les échos d'une existence enfuie, une voix qui dit et la joie et les larmes. Elle nous rappelle, cette voix, que nous ne sommes pas d'ici, que notre pays, par-delà toute horreur et toute merveille, est celui du songe. Un vieux chasseur profite de sa dernière traque pour courir le plus fuyant des gibiers : la mémoire. Reviennent à lui par bouffées les souvenirs de sa vie passée en Indochine, avant et après la guerre, images d'un grand rêve détruit par la folie des hommes. En bout de course, il n'aura réussi à mettre la main que sur cette certitude : nous sommes tous les enfants d'un pays perdu.