L'éditeur appelé à commettre ce bref texte de « présentation » doit avouer ici un geste dont il n'y pas lieu de ce vanter. Ayant reçu, par l'intermédiaire d'un confrère, le texte de cette biographie de Michel Vieuchange, il avait pris avant même de l'avoir lu la quasi-décision de ne pas la publier : voici près de quinze ans, il s'était voué dans l'enthousiasme à la remise au jour de Smara, l'inoubliable carnet de route que Vieuchange avait ramené du désert juste avant de mourir (en 1930), et il lui paraissait peu utile de raconter une nouvelle fois l'histoire de ce voyageur de l'extrême qui avait lui-même si bien évoqué la partie la plus étonnante de sa vie dans son livre. Homme de peu de foi, il remuait déjà dans sa tête les termes d'une lettre de refus, à l'auteur, aussi ferme que polie, et puis…… Et puis, la curiosité aidant (car ceux qui ont un jour rencontré le livre de Vieuchange n'en démordent plus leur vie durant), il s'est mis à tourner les pages. Très vite il a su que cette biographie, parce qu'elle ne ressemblait à rien de ce qu'il attendait, il allait l'éditer. La voici.Sans doute il s'agit bien là d'une biographie classique. Antoine de Meaux a eu la chance de rencontrer Jean Vieuchange, frère de Michel, lequel n'aura cessé d'être le conservateur attentif de l'aventure de son frère. La chance, aussi, de pouvoir librement consulter les précieuses archives Vieuchange conservées à Nevers ; et de recueillir quelques témoignages inattendus (Soupault, Cocteau, Mauriac…). Et nous suivons ainsi, pas à pas, le « roman de formation » d'un jeune provincial catholique dans cette période marquée par la Première Guerre mondiale puis par la crise des vieilles valeurs spirituelles ; la fascination de la littérature sur cette âme adolescente, puis celle de la Grèce (le feu héraclitéen brûle très tôt chez ce garçon épris à la fois de dépaysement et de poésie) ; le progrès enfin de l'étrange amitié, passionnée, qui lie deux frères unis par la même recherche d'absolu.Les photos de l'époque (l'une doit dater des vingt ans) montrent Michel en costume et noeud papillon : images impeccables d'un garçon de bonne famille promis à ce qu'il est convenu d'appeler un bel avenir — joues encore enfantines, bouche sérieuse, un peu pincée… le regard seul, un peu perdu, avouant l'attachement secret au monde du rêve. Si l'on rapproche ces clichés des rares photos qu'on a pu garder (l'une surtout) de l'époque où Vieuchange a fait l'expérience du désert — soit à peine six ans plus tard —, le changement est sidérant, presque incroyable : c'est un démon sublime, une sorte de pirate dépenaillé, tout de noir vêtu, amaigri, ravagé par l'incendie intérieur, dardant obliquement sur le monde une prunelle de charbon, qui nous dévisage… et ce regard-là, oui, est comme une foudre (on songe à tels portraits du jeune Artaud…). Que s'est-il donc passé d'une image à l'autre ?C'est à cette question que veut répondre le livre d'Antoine de Meaux — qui se garde bien de re-raconter par le détail l'aventure du voyage à Smara (si bien que le récit de Vieuchange et le sien jamais ne se chevauchent) : « J'ai souhaité rassembler les éléments épars de cette vie, écrit-il, tâcher de comprendre ce que Michel avait tenté de nous dire en allant se perdre au désert. J'ai été au Maroc, au cimetière d'Agadir où il repose, et jusqu'à Smara. Ma biographie est en fait une sorte de pèlerinage, entre quête et enquête, un cheminement vers ce prodigieux visage de la fin que le temps risquait d'effacer de nos mémoires, et dont j'étais convaincu qu'il avait un secret à révéler. »Une seule certitude en tout cas : les lecteurs de Smara ne seront pas déçus par ce nouveau voyage.